L’objet de mon documentaire a été de faire le portrait de Mavluda, personnage attachant par le parcours qu’elle a suivi pour devenir une femme mollah, bien qu’elle n’appartienne à une lignée d’Otine. Elle m’a fait découvrir sa famille, sa relation avec ses belles-filles, les fêtes ouzbek.
‘MAVLUDA, OTINKA’, documentaire de 45 minutes, 2001
auteur / réalisateur : Jean-Christophe ROUX
Sujet
Le 24 juin 2001, six mois avant que la communauté internationale décide de faire chuter le régime des Taliban en Afghanistan, je suis parti pour la vallée du Ferghana, une région à l’est de l’Ouzbékistan à la recherche d’une femme mollah. En Asie centrale on donne à ces femmes mollah le nom d’Otine. Je ne connaissais alors Mavluda qu’à travers le témoignage d’une amie berlinoise.
Le contexte
Comme dans l’ensemble des pays turcs, les musulmans d’Asie Centrale sont sunnites de rite Hannafite (sunnite du mot suna, « tradition » en arabe, c’est une interprétation proche du Coran). Hannafite vient d’un docteur de la loi religieuse Ahorat Hanafia qui élabora une interprétation libérale du sunnisme.
En Ouzbékistan, un combat acharné est mené contre le Wahabisme ce mouvement intégriste empêche une réelle séparation entre l’église et l’état. Pour garder le contrôle des mouvements islamiques, les républiques centrasiatiques mettent en place des directions spirituelles religieuse en s’opposant aux cultes des saints et en glorifiant des figures nationales, comme Tamerlan en Ouzbékistan.
Islam Karimov, le dirigeant de l’Ouzbékistan, défend l’idée: « d’un État fort pour une société forte ». Dans cette perspective, le religieux est de plus en plus contrôlé par la sphère publique.
Dans ce contexte, les Otines, ou femmes mollahs, connaissent des difficultés dans leurs pratiques religieuses, bien que les femmes vivent l’Islam beaucoup plus dans la tradition et la vie quotidienne que dans l’intégrisme religieux comme les hommes.
Pourquoi j’ai voulu faire ce film
Dans le monde contemporain, les médias occidentaux ne donnent une image de la femme dans les sociétés musulmanes que dans des situations d’oppressions, telles que l’on peut le voir en Afghanistan, en Iran, en Algérie ou au Pakistan. Cela tient à des réalités locales et géopolitiques. Comme le développent depuis peu de nombreux travaux écrits de recherche, la femme tient une place très importante dans la spiritualité musulmane.
C’est à partir de ce constat que j’ai décidé de partir en Ouzbékistan. J’avais remarqué lors d’un précédent voyage dans cette république, indépendante depuis 1991, que les femmes ne vivent pas ici un islam radical et politique. Dans la vallée du Ferghana, riche d’un long passé de soufisme, elles connaissent même une véritable autonomie dans leurs rituels et l’expression de leur foi. Cela tient à un Islam fait d’un mélange de chamanisme, de pratiques et de lectures du Coran.
L’objet de mon documentaire a été de faire le portrait de Mavluda, personnage attachant par le parcours qu’elle a suivi pour devenir une femme mollah, bien qu’elle n’appartienne à une lignée d’Otine. Elle m’a fait découvrir sa famille, sa relation avec ses belles-filles, les fêtes ouzbek (le salut de la belle fille et la fête de bercer), le pèlerinage à la tombe de la sainte Mukulchode et les autres personnages traditionnels et religieux de son hameau de Bektimour : La Dasturantchi, la Tabib (la guérisseuse), la Yujimchi (celle qui éloigne du mauvais yeux), les autres Otines venant, elles, d’un milieu tradionnel.
Mavluda, telle une Otine, occupe les mêmes fonctions que les mollahs dans le monde exclusif des femmes. Ainsi, elle conduit les cérémonies religieuses et organise des lectures du Coran. Mavluda s’est ainsi révélée plus intéressante encore que je ne le pensais.
Il me semble très important d’empêcher les amalgames qui sont souvent faits sur la religion musulmane et la réalité des régimes en place. Le portrait de Mavluda appartient à la même veine, il souligne les contradictions qu’un européen et protestant que je suis, a pu ressentir entre l’autonomie de pensée de Mavluda et son alignement sur la tradition qui emprisonne ses belles filles. Dans mon documentaire, j’ai essayé de faire découvrir le phénomène religieux des femmes de Bektimour plutôt que de simplement le couvrir.
Plus largement, organiser une soirée thématique autour « des femmes en terre d’islam en Asie centrale » me semblerait éminemment important pour permettre aux téléspectateurs européens de sortir du préjugé qui consiste à associer la religion musulmane à l’oppression sur les femmes en oubliant la réalité des régimes dans lesquelles cela se déroule.
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